(1993 – Jean-Michel Cambon, Pierre Chapoutot, P. Dellac, Etienne Rol)
Rééquipement par Samuel Guillaume, Corinne Flores, Stéphanie Lebon, Serge Andreani – septembre 2021
Un week-end exceptionnel sous le signe du souvenir et du don de soi ; une façon à nous d’honorer et de remercier un Grand Homme des Montagnes de l’Oisans, Monsieur Cambon !
Fin août, Serge, l’ami de longue date m’appelle et m’explique que l’association « Oisans Nouveau Oisans Sauvage » a été créée en mai 2021 afin d’entretenir le patrimoine vertical construit par Jean-Michel Cambon et qu’il aimerait soutenir activement l’association.
Prise de contact, discussion avec l’association, proposition d’un projet de maintenance ; et à l’issue d’une semaine de réflexion, la maintenance d’une jolie voie que j’avais parcourue il y a 3 ans avec Eric, un ami lyonnais nous est confiée: « Un p’tit pipi au lit » dans la vallée reculée de la Bérarde, cru Cambon 1993. A l’issue de ce parcours en 2018, j’avais déjà à l’époque envisagé de contacter Jean-Michel pour lui proposer des améliorations et une maintenance mais le temps a filé et la vie en a décidé tristement autrement…
Une seule date s’offre à nous car l’accès à la Bérarde s’annonce fermé dès le 3 octobre pour l’entretien de la route et ce durant plusieurs semaines. Au-delà, le froid bloquera toute maintenance. Nous suivons donc attentivement les prévisions météorologiques. ô miracle, le vendredi 24 septembre s’annonce radieux ! Voici donc l’équipe de 4, en toute parité, partie de Marseille à 20h le jeudi soir, ; arrivée à 1H de matin pour une nuit courte dans le van aménagé.
Dès le réveil, malgré le manque de sommeil, nous voici comme remplis de cette énergie débordante qui animait Jean-Michel et seuls au monde dans cette vallée reculée, pour un petit déjeuner face à la magnifique cascade et sous un ciel bleu azur si rare ! Je me souviens alors d’une petite phrase du topo de Jean-Michel : « L’ouverture d’une voie, c’est avant tout un putain de gros sac ! » Le rééquipement aussi !!!
A l’issue d’une approche rapide, quelque peu chargée donc, nous voici affairés aux préparatifs dès 10h. Pendant que Stéphanie et Corinne installent une main courante à demeure qui s’avère nécessaire pour sécuriser la vire scabreuse, je me lance, perforateur aux fesses, comme à l’ouverture du bas, pour les premières maintenances de la première longueur : ajout d’un point, remplacement de quelques plaquettes pliées ou cassées, remplacement du relais écrasé. Serge se charge de remplacer les nouveaux écrous inox par des écrous inox à frein pour éviter tout desserrage intempestif des nouveaux ancrages, et me rejoint pour hisser le sac de matériel. Ambiance Big Wall. La cordée féminine trépigne d’impatience et profite d’un bain de soleil avant de tester les longueurs revues et corrigées ! C’est ça la galanterie !
L’ascension se poursuit tranquillement sous un ciel magnifique. Quelques points sont ajoutés et déplacés. Une remarque de Jean-Michel, que j’avais rencontré à l’apéro chez un couple d’amis à Vallouise en 2004, ne me quitte pas de la journée. En effet, un peu naïvement, je lui avais demandé ce jour-là, s’il faisait du point pour point lorsqu’il rééquipait (même si je ne partageais pas cette idée mais je n’osais pas trop aborder le sujet, tout jeune équipeur que j’étais par mes premières armes au Devenson, face au Maestro). Je me souviens qu’il avait ouvert grand les yeux tant ma question lui avait paru surprenante voire stupide ! Car la réponse avait été sans équivoque, le rééquipement était à ses yeux l’occasion de corriger les erreurs inéluctables de la première vague et l’occasion de prendre en compte l’évolution de l’escalade. Cette ouverture d’esprit m’avait marqué et forçait mon admiration !
Alors durant toute cette journée, je me disais, en montant, qu’aurait fait Maître Cambon ? Là, ça craint, la chute est mauvaise, on ajoute un point. Mais le suivant est trop près désormais ! Allez donc, il faut le faire sauter pour le remonter. Misère, il y a davantage de boulot que prévu et le temps file ! Comme d’habitude, quoi ! Mais on doit tendre vers la perfection sinon du haut de SES montagnes, Jean-Michel sera déçu ! Pression donc ! Nous laissons donc le soin à la cordée féminine d’échanger les écrous inox pour gagner du temps. Le sommet arrive à 18H45 passées. J’avais promis qu’on serait en bas avant la nuit ! Nous passons donc en mode « fast and furious » pour équiper la nouvelle ligne de rappels plus directs. Pendant que la cordée féminine scie toutes les branches qui trainent pour éliminer tout risque de coincement de corde, je file sur un brin au gri-gri, perforateur en bandoulière pour percer les nouveaux relais chaînés. Serge fait la mule avec le gros sac à la descente ! Vers 20H30, nous retrouvons la main courante d’accès à la frontale ! Rangement des sacs, pliage des cordes, retour au camion, une douche froide à la frontale, un micro apéro pour motiver l’équipe à reprendre la route… pour Presles ! Objectif du lendemain : une voie exceptionnelle de Bernard Gravier : « Désirée ». Un nom tout à propos : arrivée à minuit au parking du Charmeil pour faire cuire et dévorer les magrets de canard tant désirés et savourer la bouteille de rouge très particulière « Ne jamais renoncer » , tout à propos également car l’orage sera au RDV le lendemain dans la dernière longueur bien mouillée !
Une grande pensée à nos deux aventuriers, Maxime et Daniel, qui n’ont pas pu hélas nous accompagner à notre et à leur grand regret. Nous aurions fait une large équipe plus redoutable et efficace avec deux perforateurs ! Partie remise !
Une reconnaissance éternelle à Jean-Michel Cambon qui fut et le restera dans mon cœur, mon Maître ès-créations de voies et animé d’un altruisme admirable à toute épreuve avec ce souci prégnant de la sécurité pour les répétiteurs. Un maître qui m’a beaucoup inspiré dans nos créations ! J’espère que du haut de ses montagnes, il sera satisfait de notre travail et que les grimpeurs y prendront beaucoup de plaisir.
Un très grand merci à l’association, pour sa confiance à notre égard, son soutien logistique en goujons/plaquettes inox et son ouverture d’esprit.
Une immense gratitude aux ami(e)s de longue date, Corinne et Serge, pour leur patience et leur confiance qu’ils m’accordent dans ces aventures, souvent nocturnes, et assez engagées !
Et tout plein d’admiration et d’amour pour ma compagne remarquable, Stéphanie, qui participe activement à ces chantiers – parfois bien éprouvants – de maintenance ou de création divers et variés dans de nombreux massifs.
Bref, ce fut un week-end riche en émotions! Et ô combien nourrissantes en ces temps où le monde semble bien fracturé et fragilisé ! Un souffle d’oxygène et de liberté ! Avec à la clef, une magnifique voie qui gagne à être connue : une approche rapide, de très belles longueurs aux styles variés ( dalle à friction, dévers, dièdre, mur raide etc…) avec cerise sur le gâteau, un mur final en 6b digne d’un mur légèrement déversant d’une salle d’escalade avec des préhensions qui demandent du placement ! Le top, quoi ! Tout cela dans une ambiance particulière où les embruns viennent vous rafraîchir si le vent est joueur. La nouvelle ligne de rappels redépose rapidement à vos chaussures. Une escalade plaisir en mode light « Une belle réussite, sans forfanterie aucune » comme dirait Jean-Michel !
200 mètres, 7 longueurs 5c, 5b, 5c, 6a (court et bloc), 5c, 6a++, 6b
Descente en 5 rappels : 40m, 40m, 28m, 40m, 40m
Alors foncez, c’est un vrai régal ! Et laissez s’envoler quelques pensées pour Monsieur Cambon ! Car qui a connu le deuil connaît la puissance de cette phrase de Rigord, moine du XII siècle « L’oubli est la ruse du diable ; ne meurent et ne vont en enfer que ceux dont on ne se souvient plus ». Et celle plus contemporaine de Jean d’Ormesson « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants ».